J’ai grandi dans une ferme sous le régime de l’apartheid. J’ai mentionné dans l’article “A propos de Moi“ le fait que j’étais gardé tous les jours par une nounou noire pendant que ma mère était au travail. La bonté que j’ai expérimentée de sa part et de la part des travailleurs noirs de la ferme a formé quelque chose dans mon cœur et ma conscience que je ne pouvais tout simplement pas contredire, même lorsque j’étais parmi mes proches qui étaient fortement influencés par l’idéologie raciste. Cette nounou et ces ouvriers agricoles ont renversé le “régime” de l’apartheid dans mon cœur, c’est-à-dire l’influence de l’apartheid dans ma vie ! Mais mon amie, Loeki, m’a récemment raconté quelque chose qui a profondément touché mon cœur et ma conscience.
Loeki a grandi en tant que fille d’un Officier des Forces de Défense Nationale du régime de l’apartheid. En apparence, son enfance pouvait sembler insouciante et heureuse mais pour elle, il y a toujours eu une obscurité profonde qui a entaché ses années d’enfance avec une peur des personnes noires, des troubles politiques, des images effrayantes de policiers forçant les noirs à monter dans des fourgons de police, des soldats et des policiers patrouillant les quartiers des populations noires.
Malgré cela, une lumière rayonnante brillait dans cette atmosphère profondément sombre et sinistre, chassant ces ombres noires de l’esprit d’une petite fille. C’était Beauty Sibeko, la nounou noire de la maison… Avec son cœur chaleureux et rempli de bonté, elle a fait disparaître les craintes de Loeki. Mais pas seulement : elle a renversé le “régime” de l’apartheid dans le jeune cœur de Loeki !
Loeki raconte : “C’est Beauty, notre nounou, qui est devenue mon amie et ma confidente. Sa chambre était un endroit où je pouvais passer les plus belles heures de mon enfance. Je me souviens encore aujourd’hui de chaque détail de sa chambre et de l’odeur de son savon. Quand je suis devenue une jeune femme, c’est avec elle que j’ai partagé mes pensées et mes craintes les plus profondes. Elle est devenue une mère pour moi et m’a fait comprendre que la couleur de la peau n’était pas ce qui définissait une personne. Elle m’a fait un véritable cadeau – celui de regarder plus profondément que la couleur de la peau d’une personne”.
Le simple fait de lire ceci fait de Beauty Sibeko une très bonne femme. Mais lorsque Loeki m’a révelé le contexte de son enfance, à mes yeux, cette femme est devenue une héroïne, une révolutionnaire, une réformatrice ; une femme qui mérite une médaille, et le plus profond respect de nous tous !
Le contexte de son enfance (rédigé par Loeki) :
“Nous avons déménagé de nombreuses fois à cause du travail de mon père, et Beauty, notre nounou qui était toujours avec nous depuis mes premiers souvenirs, n’avait pas le droit de se déplacer entre les différentes zones. C’est pourquoi nous devions la cacher aux yeux de la police à plusieurs reprises. Elle était orpheline et même si mes parents l’ont en quelque sort élevée, elle n’a jamais pu être l’une des nôtres. Pourquoi ? Elle était noire et était donc traitée différemment. Elle n’avait pas le droit de manger dans nos assiettes, ni de boire dans nos tasses. Elle n’avait pas le droit de s’asseoir sur nos lits, ni d’utiliser notre salle de bain. Elle n’avait presque jamais de congé pendant le week-end et n’était pas autorisée à recevoir la visite de ses amis dans sa chambre. Toutes ces choses me dérangeaient énormément et je ressentais de profonds remords et de la honte sur la manière dont elle était traitée. J’ai essayé à de nombreuses reprises de tenir tête à mes parents, mais j’ai été réduite au silence par des mots durs”.
Quand j’ai lu ceci, je me suis senti misérable et j’ai pleuré ! Des images ont traversé mon esprit sur ce qui a pu se passer au cours des siècles sur notre terre. J’ai honte des choses horribles et laides qui ont entaché et entachent encore l’âme de tant de membres de notre population blanche…
La vie de Beauty Sibeko a changé l’esprit et le cœur d’une petite fille il y a de nombreuses années (Loeki a maintenant 54 ans). Je crois qu’il y a beaucoup d’autres histoires inédites sur ces héros cachés d’une Révolution Silencieuse qui ont changé l’esprit et le cœur d’au moins une partie de la population blanche d’Afrique du Sud. Pour ces blancs chanceux, l’Afrique du Sud peuplée majoritairement de noirs est notre pays, celui auquel nous appartenons. Nous n’avons pas peur de nos compatriotes noirs, nous faisons partie d’eux et nous les aimons ! Ces nourrices ont fait disparaître nos craintes. Je leur en suis extrêmement reconnaissant et je suis presque sûr qu’il y en a beaucoup, beaucoup plus qui leur en sont reconnaissants et qui conviendront avec moi qu’ils sont les véritables héros d’une révolution ! Car la main qui berce le berceau est celle qui dirige (et change) le monde !
John Newton, un ancien marchand d’esclaves, après s’être repenti des horreurs du commerce des esclaves, a écrit une chanson contenant les mots suivants “Amazing Grace, how sweet the sound that saved a wretch like me.” [Grâce incroyable, au son si doux, Qui sauva le misérable que j’étais] Bien que je n’aie jamais été en accord avec la discrimination raciale de l’apartheid, cette chanson m’interpelle fortement en tant que “misérable” qui n’a pas suffisamment résisté ou combattu mais qui faisait beaucoup trop partie du système ! Voici un lien vers ce chant qui est chanté par une nouvelle génération d’Africains. Puissent-ils, ainsi que nous tous, ne jamais, plus jamais, faire l’expérience de l’oppression des uns par les autres sur notre beau continent (Nelson Mandela).
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